Je me souviens…
le 6 juin 1944
Suite à l’appel à témoins lancé dans son dernier numéro, Calvados Magazinevous propose de découvrir quatre témoignages de Calvadosiens ayant vécules premières heures du Débarquement.
Georgette Boutrais
Caen
« 6 juin – Quelle nuit épouvantable, que va-t-il se passer ? Nous avons eu une alerte à minuit qui a duré jusqu’à 3 heures. Mon mari est de service à la DP. Nous sommes, Berthe et moi, à nous demander si cette alerte va finir. Pour toujours, le hurlement des sirènes est fini car nous sommes sans arrêt en état d’alerte et l’heure est grave. Les grondements du canon au loin se font entendre et nous voudrions savoir de quel côté est le Débarquement. Nous devinons que les coups viennent du côté de Courseulles. (…) J’hésite. Dois-je partir ? Andrée est encore au Bon Sauveur. Comme je voudrais l’avoir à côté de moi. Mon mari revient dans la matinée et je lui raconte mon souci pour ma fille. Je veux aller la chercher mais je n’ai qu’une bicyclette. Les dames Bosquin viennent chez nous et nous ne quittons guère la cave ; des avions sans arrêt. Enfin André aperçoit Andrée qui arrive en courant ; je suis presque heureuse car j’ai ma fille. Le premier bombardement est pour le 43. Les bombardements se succèdent et le midi, c’est le centre de la ville qui ramasse. À 1 heure, Monoprix brûle, pas d’eau pour l’éteindre, la rue Saint-Jean est touchée aussi. On distingue très bien ces monstres de l’air qui arrivent chargés, qui se déchargent et qui repartent prendre une nouvelle provision de bombes. Le 7e bombardement est pour nous… »
Louis Dupont
Caen
Le 5 juin 1944, je m’étais couché très tard, car, le lendemain, j’avais un examen de licence en droit. J’avais révisé mes cours jusqu’à minuit. Je dormais donc du sommeil du juste. Vers 6 heures du matin, Maman est venue me secouer en me disant : tu n’entends donc pas le bruit ? Effectivement, il y avait un roulement ininterrompu, comme un orage violent qui ne s’arrêterait pas. Cette fois, il se passait sûrement quelque chose, le débarquement ? Pourtant, comme beaucoup, on finissait par se demander si ça arriverait un jour et on pensait que, de toute manière, ça devait arriver ailleurs. Ces choses-là ne peuvent arriver qu’aux autres. (…) Comme d’habitude, je partis à pied vers la faculté qui se trouvait alors derrière le vieux Saint-Sauveur. Un avis avait été placardé à la porte. Il était indiqué, qu’en raison des circonstances, l’examen était reporté à une date ultérieure. Le grondement ininterrompu avait cessé. On entendait, par contre, des tirs d’artillerie et de mitrailleuses relativement proches. En revenant vers la maison, je vis des prisonniers anglais encadrés par des soldats allemands qui se dirigeaient vers la caserne du château. Pas de doute, le front était aux portes de Caen… »
Anonyme
Région de Vire
« Le 6 juin 1944, vers trois heures du matin, nous fûmes réveillés par un grondement sourd et lointain, semblable à un violent orage, et qui paraissait venir de la région côtière. (…) Nous apprîmes plus tard, qu’à ce moment précis, deux divisions britanniques, une division canadienne et deux divisions américaines, venaient de réussir à prendre pied sur le sol de France, commandés par le général américain Eisenhower. Habitués depuis longtemps déjà d’entendre les bombardements alliés sur différents objectifs même assez éloignés de notre région (…), ce bombardement ne nous surprit d’abord pas excessivement, mais devant sa durée et son intensité, les espoirs jaillirent, des mots, auxquels on osait à peine croire, furent prononcés : « si c’était « Eux » qui viennent ». « Eux », c’était les chasseurs de l’oppresseur, ceux que l’on attendait depuis si longtemps, c’était les Alliés…
La nouvelle se trouva confirmée dans la matinée, et, vers midi, des chasseurs bombardiers américains, étoilés de blanc, volant à très basse altitude, achevèrent de nous persuader que le grand jour, le jour « J », avait enfin sonné. Le 6 juin 1944 allait venger le 7 juin 1940… »
Anonyme
Région de Caen
« Mardi 6 juin – Depuis longtemps déjà les Anglais en formations nombreuses viennent bombarder toutes les grandes villes de France ; mais depuis une semaine, ils s’acharnent davantage sur les défenses de Basly-Douvres et Ouistreham. Hier dans la journée, plusieurs avions ont attaqué les défenses situées entre Tailleville et Reviers appelées les « Tambettes ».
La nuit du lundi 5 au mardi 6 fut très agitée, depuis 11h du soir, nous dormons mal. Ce ne sont que bombardements, avions, explosions de toutes sortes. Vers 6h du matin, les navires de guerre anglais sont en vue des côtes du Calvados. À prime abord, il semblait que cette flotte se dirigeait vers Cherbourg mais à 6h30, les bateaux se tournaient vers nos côtes. La population en toute hâte gagna les abris et à 6h45 la première torpille arrivait sur Saint-Aubin.
Le bombardement fut intense jusqu’à 9h, de nombreux incendies ravageaient des quartiers, les torpilles, les obus pleuvaient partout ; la poudre et la fumée avaient envahi toute l’atmosphère. Tout le monde suffoquait dans les abris. Dans la matinée, on entend nettement la mitrailleuse ; les Canadiens sont sur la plage et remontent dans le pays… »