Marion Joffle et Pierre Louis Attwell :
CE RÊVE BLEU…

Ils ont la passion de la mer et du défi en commun. Marion Joffle est nageuse en eau froide et Pierre Louis Attwell est skipper. Interview croisée de deux sportifs calvadosiens que la maladie a poussé à rêver en bleu.

Que connaissez-vous l’un de l’autre ?
Marion Joffle : Pierre-Louis a 24 ans et une histoire incroyable et touchante. On lui a découvert la maladie de Crohn à l’âge de 16 ans. Je ne peux pas imaginer ce que c’est mais je pense que c’est quelque chose, qui l’air de rien, doit être handicapant et difficile à vivre au quotidien. C’est une force chez lui de vivre avec ça. Sa passion en tant que skipper est aussi très impressionnante : tous ces défis qu’il a réalisés comme la Normandy Channel race, la Solitaire du Figaro et ceux qu’il a en projets comme La Route du Rhum sont supers et surtout il défend une belle cause : ce n’est pas parce qu’on est malade qu’on doit se priver de faire des choses. Cela rejoint mon parcours. Il transmet une lueur d’espoir à tous les gens malades. C’est ce qui est beau chez lui : peu importe ce qu’il lui arrive dans la vie, il continue d’avancer.
Pierre-Louis Attwell : C’est beau… Merci ! Marion et moi avons tous les deux la chance d’être soutenus par le Département du Calvados. On se connaît assez peu mais on a tous les deux la même façon de voir la vie car on a une histoire commune : on est ou a été malades tous les deux. Marion a été atteinte à l’âge de 6 ans d’un cancer, le sarcome épithélioïde. Une épreuve forcément difficile quand on commence une vie. Marion a cette force d’être une vraie sportive engagée dans sa discipline mais aussi auprès des jeunes du département, auprès des patients qui souffrent de la même maladie qu’elle et ça, c’est super beau. En plus d’être une vraie sportive, elle porte des valeurs fortes. Elle démontre que même malade, on est capable de beaucoup de choses…

D’où venez-vous dans le Calvados ?
M. J. : Je suis née à Flers. Aujourd’hui, je vis entre Lisieux et Caen la semaine pour mes entrainements. Je suis dans le Calvados depuis 2006.
P-L. A. : Moi, je suis un Normand d’adoption. Je suis né à Malestroit, dans le Morbihan mais j’ai grandi à Saint-Gatien des Bois, juste à côté de Honfleur. Je me sens complètement Calvadosien. Je fais toujours partie du cercle nautique de Honfleur. Aujourd’hui, je partage ma vie professionnelle entre Lorient où se trouve le centre national d’entrainement des skippers et Caen-Ouistreham qui est ma base de travail où je viens préparer le bateau régulièrement, notamment avec le chantier V1D2.

Parlez-nous de votre parcours, comment tout a commencé ?
M. J. : J’étais en vacances dans le Sud en 2007. Je me souviens d’un énorme toboggan aquatique dans lequel je n’ai pas pu aller parce que je ne savais pas nager. En rentrant à Lisieux, j’ai commencé à apprendre à nager pour pouvoir faire du toboggan aquatique ! Cela m’a énormément plu et j’ai fait mes premières compétitions en 2008. J’ai eu un déclic avec l’eau. J’aime m’y sentir portée, ne pas avoir à porter le poids du corps, m’y amuser et son côté calme et serein. J’ai découvert la nage en eau libre en 2011 avec le Tour du Roc à Granville sur 1 km. J’avais 12 ans, je n’étais pas très sereine et finalement je me suis découvert une passion nouvelle : la nage en liberté. C’est parti de là. J’ai augmenté la distance chaque année en eau libre jusqu’à arriver en 2016 à 25 km lors des championnats de France d’eau libre où j’ai terminé deuxième. Mon projet de traverser la Manche à la nage est née en 2017. C’est une passion qui est montée assez rapidement et qui me dévore aujourd’hui.
Nager en liberté, c’est pour moi être en harmonie avec la nature, voir des paysages fabuleux tout en nageant. Je préfère la mer car j’aime les vagues, je m’y amuse et c’est ce qui compte pour moi. L’ambiance des compétitions en eau libre est aussi plus festive qu’en bassin. C’est en eau froide que j’ai ramené le plus de médailles et de titres : double championne du monde sur le 50 m brasse en 2019 et 2020 notamment et 4e sur le 1 000 m lors des championnats du monde en Russie en 2019 dans une eau à 0,2°… ma plus belle épreuve et mon plus beau souvenir. Au-delà des médailles, ce que je retiens le plus, c’est le partage avec les autres nageurs et nageuses.
P-L. A. : Moi non plus, mon parcours n’est pas classique chez les skippers de course au large. J’ai découvert la voile avec mon père sur le bateau familial avec lequel on partait en vacances l’été. J’adore être en mer et c’était déjà très agréable de pêcher, d’observer les fonds, la faune, la flore en mer et près du littoral. C’est un milieu avec lequel j’étais à l’aise. Plus tard, j’ai fait une dizaine d’années d’école de voile à Dives-sur-Mer où j’ai découvert la voile avec un côté plus technique et où j’ai fait mes premières compétitions en catamaran vers 2008, j’avais 12 ans. Je n’ai pas eu tout de suite le déclic de la compétition, c’est venu plus tard quand j’ai voulu faire de la voile mon métier. J’ai monté une école de voile à Honfleur et c’est là que j’ai commencé à faire du J80 sous les couleurs de Honfleur sur les circuits nationaux et internationaux. C’est seulement fin 2017 que j’ai eu un déclic. Je me suis dit : un de mes rêves, c’est de faire la Solitaire du Figaro qui est la porte d’entrée des courses au large en France. J’ai monté mon petit dossier de sponsoring et de présentation de projet pour mon bateau Vogue avec un Crohn et voilà comment tout a commencé.

En quoi la maladie a-t-elle été déterminante dans vos choix ?
P-L. A. : La maladie de Crohn est une maladie auto immune dont on ne guérit pas encore. On arrive seulement à freiner ses effets. Comme cette maladie touche le système digestif, les jeunes, et même les moins jeunes, ont du mal à en parler car ça touche l’intimité. Jusqu’à ce que je monte ce projet Vogue avec un Crohn, je ne parlais pas du tout de ma maladie puis je me suis rendu compte que ne pas en parler devenait plus dur que la maladie elle-même. Ce projet a été quasiment une rédemption. Je me suis dit : est-ce qu’il ne vaut pas mieux en parler à tout le monde plutôt qu’à personne ? J’ai pensé que cela aurait du sens d’associer ces deux parties de ma vie : ma passion pour la mer et la voile et cette maladie avec laquelle j’avais du mal à vivre. Il y a sans doute plein d’autres gens qui souffrent de cette maladie et de ne pas pouvoir en parler. Ce qui est sûr aujourd’hui, c’est que si je n’avais pas été malade, je ne ferais pas de courses au large. La maladie m’a fermé beaucoup de portes professionnellement mais finalement, elle me permet de voir la vie d’une façon différente des autres. Je suis sorti des schémas classiques, j’ai assumé de vivre mon rêve qui paraissait inaccessible. Je me suis dit que je n’avais pas le temps d’être sage et qu’il fallait que je tente ma chance.
M. J. : Le cancer que j’ai eu a été déterminant dans tous les défis que je me suis lancés mais pas dans le choix du sport. La natation, je l’aurais trouvée de toute façon. J’ai pu accepter assez facilement la maladie car à 6 ans, on ne se rend pas vraiment compte. Ce qui a été plutôt déclencheur pour moi, c’est de voir les autres enfants sous traitement chimiothérapique ou amputés. Moi, je n’ai perdu qu’un doigt, même si j’ai été très suivie pendant plus de 10 ans car c’est une maladie orpheline, à forte récidive. C’est vraiment l’image des autres enfants qui me poussent à me dépasser tous les jours. Lorsque j’ai accepté ma différence, j’ai commencé à réaliser mes projets un peu fous comme le 25 km. Je venais de finir ma rémission.
Très vite, j’ai associé mes défis à l’Institut Curie pour lequel je lutte, comme la traversée de la Manche qui est née de mon combat pour la vie et de mon combat contre le cancer. Si je n’avais pas eu cette maladie, j’aurais eu un parcours de nageuse classique, pas aussi singulière que la mienne. La maladie nous donne envie de nous dépasser, de voir jusqu’où on peut aller. C’est pour cela que je me suis lancée dans l’eau froide, pour tester mes limites, vivre de nouvelles émotions dans le milieu aquatique. Je crois que grâce à cet épisode, je vis une vie incroyable.
P-L. A. : Je n’ai jamais été aussi heureux dans ma vie que depuis que je parle tous les jours de ma maladie et que je mène ce projet. Cela a du sens de montrer que même quand on est malade, qu’on est différent, on est capable de rivaliser avec les autres. J’espère que nous sommes un exemple et que l’on peut motiver des gens qui, comme nous, ont pu avoir des difficultés après une maladie. Au-delà d’être skipper, je suis intégré dans le parcours de soin. Je travaille avec les hôpitaux, les industries pharmaceutiques pour améliorer la prise en charge des patients atteints de cette maladie. C’est très valorisant de savoir qu’on participe à améliorer les choses. C’est vraiment un élément moteur pour moi.

A quoi ressemble votre quotidien de sportif ?
M. J. : Je passe le plus clair de mon temps dans l’eau ou à la piscine à l’EN de Caen. Je travaille aussi à côté comme maître-nageur et je vais dès que je peux sur les marchés pour sensibiliser les gens à mon projet. Je ne vis pas de mon sport, c’est une vraie passion et aussi beaucoup de sacrifices. Pour un projet comme la traversée de la Manche, il faut s’entrainer énormément. Je devais le faire le 8 septembre dernier mais avec l’annonce de la quatorzaine en Angleterre, j’ai dû reporter le projet.
P-L. A. : Mon quotidien est très différent de celui de Marion. Je n’ai aucune routine. J’ai la chance de pouvoir vivre de ma passion. Je partage mon temps entre Paris pour démarcher des partenaires, l’Océan Atlantique pour les courses, les chantiers navals pour la préparation technique du bateau… J’ai aussi une préparation physique hors du temps de courses et de préparation du bateau. Aujourd’hui, mon objectif est d’être le premier skipper atteint d’une maladie chronique à traverser l’Atlantique en solitaire avec la Route du Rhum en 2022.

Que diriez-vous chacun à l’autre pour l’encourager dans la suite de sa carrière ?
P-L. A. : De ne jamais rien lâcher. Ce qu’elle fait est beau. Elle vit ses rêves comme moi je vis les miens. Vas-y, continue à nager !
M. J. : De ne jamais rien lâcher non plus ! De ne pas baisser les bras, même si c’est dur, même si des fois, ça fait mal, qu’on souffre. C’est dans les moments les plus durs qu’on ressort le plus fort.

Le saviez-vous ?

Le Département du Calvados soutient financièrement et humainement les défis sportifs de Marion et Pierre Louis.

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