Juin 44
Le château de Bénouville
dans la tourmente
Alors que les Alliés débarquent et tentent de gagner Pegasus Bridge, le château de Bénouville, qui abrite alors la Maison maternelle départementale, s’organise pour assurer son activité.
Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, les résidents de la Maison maternelle départementale dorment lorsque la directrice du lieu, Léa Vion, dite « Mémé », vient les sortir du lit : cette fois, ça y est. Les Alliés débarquent. Le jour tant espéré et tant attendu arrive enfin.
Mais pour l’heure, il faut se mettre à l’abri. À chacun, « Mémé » recommande de prendre une courtepointe et un manteau. Pas le temps de s’habiller, le temps presse. C’est donc en pyjama que tout le monde descend pour rejoindre les caves de la chapelle du château, située à quelques mètres à l’extérieur.
Dehors, le bruit infernal des mitraillettes et des canons allemands témoigne de la guerre acharnée que livre l’ennemi pour tenter de défendre le pont de Bénouville, situé à 300 mètres de là. L’angoisse s’empare des résidents tandis qu’ils traversent la cour d’honneur reliant le château à la chapelle. À bout de bras, les six résistants cachés dans la demeure depuis deux ans transportent les brancards dans lesquels les jeunes mères récemment accouchées protègent leurs nouveau-nés. Accompagnées de leurs monitrices, les jeunes élèves du centre d’apprentissage se font toutes petites sous le ciel illuminé par les tirs.
Assurer les naissances
Au sous-sol de la chapelle, on s’affaire. Tout a été anticipé pour que les caves puissent accueillir les futures mères et prendre le relais de l’activité du château. Malgré l’agitation et le chaos qui règnent à l’extérieur, les accouchements se poursuivent. Tant bien que mal. On s’éclaire à l’aide des lampes à carbure.
On tire de longs rideaux pour protéger des regards les femmes qui s’apprêtent à donner la vie. Sages-femmes, auxiliaires, berceuses s’activent dans les couloirs et se partagent seaux d’eau et lits de fortune. Les cuisinières apportent de quoi combler la faim des résidents au cours de la journée. Les plus jeunes, et les autres, tentent d’apaiser leurs angoisses en attendant de pouvoir sortir et regagner le château.
La vie s’organise tandis que les bombes continuent de tomber
Quatre jours durant, les Alliés livrent une bataille sans merci aux Allemands avant de « gagner » enfin le fameux pont. Le bruit des obus, des bombes, des canons et des mitrailleuses rythme la vie dans le sous-sol de la chapelle. Mais bientôt la place manque et il faut anticiper les naissances à venir. On décide alors de déménager vers les caves du château déjà marqué par les obus. Des lits sont disposés le long des couloirs pour les jeunes mères, un dortoir est improvisé pour les pensionnaires du centre d’apprentissage, on installe les tout-petits. La vie s’organise tandis que les bombes continuent de tomber dans le parc et sur le château.
Vivre malgré tout
18 accouchements auront lieu au cours des 18 jours qui suivirent le Débarquement.
Pendant la période de bombardements qui dura 70 jours, le personnel de la Maison maternelle départementale œuvrera sans relâche pour continuer à préparer les repas aux pensionnaires et les biberons aux plus jeunes, soigner les femmes et les enfants et assurer le fonctionnement de l’établissement. Une conduite à laquelle Léa Vion rendra hommage. « Mémé » offrira même durant les années qui suivent, un jour de congé au personnel, chaque 6 juin, pour commémorer le Débarquement.
Texte écrit à partir du témoignage de Gisèle Lemasson .
dite « Gisou », extrait de l’ouvrage « Maison maternelle départementale – Château de Bénouville 1928-1985 » Édité par les Cahiers du temps – disponible en librairie
La Maison maternelle départementale
Racheté en 1927 par le Conseil général du Calvados, le château de Bénouville héberge à partir de 1928 la Maison maternelle départementale. Elle accueille les femmes enceintes en difficulté. Plus de 400 accouchements par an s’y déroulent. Elle abrite également un foyer d’accueil pour les jeunes enfants abandonnés ou handicapés.
À partir de 1931, le château accueille une école de sages-femmes puis, en 1949, un préventorium dédié aux enfants infectés par la tuberculose. En 1983, la maison maternelle ferme ses portes.
Léa Vion marqua fortement l’histoire du lieu. Elle fut la directrice-économe de la maternité de 1935 à 1956 et un membre actif de la Résistance pendant la guerre.
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